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LA RENCONTRE

SÉQUENCE ÉMOTION

C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit
Ma mère Jézabel devant moi s’est montrée,
Comme au jour de sa mort pompeusement parée.
Ses malheurs n’avaient point abattu sa fierté ;…

Pourquoi les vers de Racine et sa vision effrayante du songe d’Athalie (Acte II Scene 5) au milieu de ce périple de rêve ? Cet instant aurait plutôt mérité d’être narré ainsi :

C’était en plein bonheur d’une journée ensoleillée
L’animal tant souhaité par tribord s’est montré
Plus qu’au temps antique de son divin statut
Son souffle rauque retentit inattendu

Il y a près de douze ans, avec la visite de la grotte sarde del Bue Marino à Cala Gonone, commença mon intérêt pour cet animal si peu connu et si rare de nos jours. Avec les récits de certains patients, puis amis cette curiosité s’est amplifiée pour ce symbole d’une biodiversité de “Mare Nostrum” tant mise à mal au fil des siècles. Le besoin de voir ce phoque prenait de plus en plus d’importance, avec mon attachement pour cette région de Grèce et l’association fondée par Jean-Marie et Colette Daste. En tant que kayakiste les récits de rencontres avec le Monachus monachus des pagayeurs français, comme grecs dans ces eaux, me fascinaient.

Les témoignages attestaient de sa présence à chacun de mes séjours en famille à Leucade comme à Céphalonie. Lors des 150 km du tour d’Ithaque avec 3 néréens en 2011 aucune trace du mammifère. Cette année, fort de nouvelles informations, mon espoir de croiser la bête était un peu plus grand, mais restait mince.

Au bout de quelques jours nous naviguions avec mes deux amis, sur des rivages où sa présence était un peu plus probable et nous étions aux aguets pour tenter de surprendre le farouche mammifère. A la recherche du moindre bout de tête, du moindre sillage ou signe de fuite nous progressions lentement sans bruit. Au fil des grottes, des roches plates, notre attention se relâchait au fur et à mesure que notre optimisme décroissait.

Insensiblement le décor changeait, la côte rocheuse s’abaissait, la roche noircissait se hérissant de pointes nombreuses et acérées, l’onde s’amplifiait, avec le plafond nébuleux qui s’abaissait, l’eau s’obscurcissait devant nos bas esquifs. Soudain un souffle puissant me fit sursauter et orientait mon regard vers son origine en arrière et sur tribord, l’animal tant menacé m’apparut dans toute sa grandeur ; sa force, ses moustaches, son haleine forte, son corps massif à quelques mètres de moi, me sidérèrent.

Je cherchais à le voir : il était venu me trouver ! Je tentais de le surprendre : il me surprenait ! Avec cette proximité la magie de cette rencontre tant souhaitée se mêlait à l’effroi. La panique de n’être plus soudain le traqueur mais le gibier ? La peur ancestrale d’être “mangé” ? La pensée que cet individu s’en prenne à moi comme victime expiatoire des massacres perpétrés par mon espèce contre la sienne ? ….

Ces quelques secondes ambivalentes de bonheur et de terreur furent un des moments les plus forts de mes navigations. Ce bref instant était encore plus intense que je n’avais osé l’imaginer, et ses sensations contraires exacerbées. A peine disparu, nous cherchions avec Patrick une nouvelle apparition du monstre convoité, plus elle tardait et moins nous la redoutions, plus nous l’espérions tandis que Jos nous rejoignait. Au fil du temps l’atmosphère effrayante de la classique tragédie avec sa vision hantée par un lourd passé, s’évacuait avec notre satisfaction de voir aboutir cette quête d’un Graal de chair et d’os.

A une prochaine fois, pour une nouvelle rencontre, un nouveau partage, “Le Moine” !